Comment je gère ma coronanxiété
Extrait de "Dear Guy", la rubrique conseils de TED, rédigée par le psychologue new-yorkais Guy Winch. Traduction : Frédéric Jacquier-Calbet

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Cher Guy :
Je suis incroyablement anxieux à propos du coronavirus et de ce qui va m'arriver, à mes proches, à mes collègues, à mes voisins, à la communauté et à tous les autres. Que puis-je faire ? Comment puis-je faire face à cette situation ?
Signé,
Le monde
Note de la rédaction : bien que cette lettre ne soit pas réelle, les sentiments qu'elle contient le sont. TED a publié ce numéro spécial de "Dear Guy" pour aborder un sujet qui préoccupe de nombreuses personnes en ce moment.
Cher monde :
Il y a deux semaines, la majorité de mes patients ont passé au moins une partie de leurs séances à discuter de leurs inquiétudes concernant le coronavirus. La semaine dernière, c’était tout le monde. Et bon nombre des inquiétudes étaient les mêmes : "Est-ce que je vais l'attraper ? Dois-je éviter de voir mes parents âgés ? Où puis-je trouver du papier toilette ?
En effet, la pandémie alimente la peur et l'anxiété dans le monde entier. Mais même si elles suscitent une réaction psychologique similaire, la peur et l'anxiété sont deux choses différentes. La peur est une réponse à un danger spécifique et imminent ; l'anxiété est une réponse à une menace vague et future.
La plupart de nos réactions émotionnelles au coronavirus se situent dans la catégorie anxiété. Pour la grande majorité d'entre nous, la menace est encore incertaine, comme un nuage de "et si" qui plane au-dessus de nos têtes. On ne sait pas si on sera exposé au virus ou non ; si on y est exposé, on ne sait pas si on aura des symptômes ou non ; et si on a des symptômes, on ne sait pas si on pourra s’en remettre.
Et malheureusement, l'anxiété se nourrit des "et si" et de l'incertitude. Elle remplace l’inconnu par des scénarios du pire terrifiants qui nous maintiennent dans un état de stress permanent. L'anxiété est, par définition, une réaction psychologique excessive qui fait que les menaces les plus incertaines, les plus improbables et potentiellement les mieux gérables paraissent à la fois incroyablement certaines et absolument impossibles à gérer.
L’autre problème de l'anxiété est qu'elle nous fait nous sentir impuissants, débordés et paralysés, ce qui accroît notre sentiment de vulnérabilité et nous paralyse.
Mais c'est là que réside la clé de la gestion de notre anxiété : dans l'action.
En agissant pour rétablir les sentiments mêmes que l'anxiété cherche à diminuer - des sentiments comme le contrôle, la responsabilisation, la raison et l'action - nous pouvons stopper notre réaction de lutte ou de fuite, retrouver une évaluation plus réaliste de la menace réelle et utiliser nos capacités émotionnelles et intellectuelles pour y faire face plus efficacement.
Cela dit, nous évoluons dans un contexte sans précédent et extrêmement difficile. Nous connaîtrons tous des moments d'anxiété, de panique, de colère et d'autres formes de détresse. Si vous êtes submergé par de tels sentiments, ne vous en voulez pas de les avoir vécus - ils sont tout à fait appropriés. Cependant, il vous faut envisager d'adopter des stratégies d'autogestion des émotions (comme celles ci-dessous) pour permettre de réduire leur fréquence et leur intensité.
Je suis sûr que la plupart d'entre vous connaissent les bases de ce que vous devez faire maintenant pour maintenir votre santé physique : consulter les points réguliers et les informations précises de sources réputées telles que l'Organisation mondiale de la santé ou le site de l’État en France, utiliser fréquemment un gel hydroalcoolique pour les mains ou se laver les mains pendant au moins 20 secondes avec de l'eau et du savon, consulter un médecin si vous présentez des symptômes, etc.
Mais vous devez également prendre soin de votre santé émotionnelle.
Et l’une des meilleures façons de le faire est de gérer votre anxiété et de réduire votre stress.
Voici comment je gère ma propre coronanxiété et comment vous pouvez gérer la vôtre :
1. Concentrez-vous sur ce que vous savez par opposition à ce que vous ne savez pas
Chaque fois que vous remarquez que votre anxiété vous pousse à envisager des scénarios de simulation tout droit sortis d’un film catastrophe, résistez à l'envie de mordre à l'hameçon. Concentrez-vous plutôt sur les faits. Par exemple, même si vous ne savez pas si vous allez attraper le virus, vous savez que la majorité des personnes qui contractent le COVID-19 ont des symptômes mineurs et gérables. Ou encore, vous ne savez pas quand la crise sera terminée, mais vous savez qu'il existe une coopération mondiale sans précédent entre les scientifiques qui s’acharnent à trouver des vaccins et des traitements. Ou encore, vous ne savez pas quand vous reverrez des êtres chers qui vivent dans d'autres pays, mais vous savez que vous pouvez discuter avec eux par vidéo et rester en contact.
2. Concentrez-vous sur ce qui est sous votre contrôle par opposition à ce qui ne l'est pas
Lorsque vous vous sentez dépassé par ce qui se passe, faites une pause dans ce que vous faites et pensez à ce qui est sous votre contrôle. Par exemple, si vous êtes au supermarché, vous ne pouvez pas contrôler si les autres clients se sont lavé les mains, mais vous pouvez mettre des gants ou utiliser votre coude pour ouvrir les portes et vous laver les mains soigneusement dès que vous rentrez chez vous. Si on vous a demandé de travailler depuis la maison, vous ne pouvez pas contrôler quand vous serez autorisé à revenir au bureau, mais vous pouvez dresser une liste de tâches que vous pouvez accomplir de chez vous, comme trier le vide-poche, annuler l'abonnement à la salle de sport que vous n'utilisez pas, rechercher un abonnement de mobile moins cher, ou vous attaquer à cette montagne de magazines dont votre partenaire vous parle depuis un moment.
3. Concentrez-vous sur ce que vous pouvez faire plutôt que sur ce que vous ne pouvez pas faire
Lorsque vous vous sentez impuissant, concentrez-vous sur les actions que vous pouvez entreprendre plutôt que sur celles que vous ne pouvez pas entreprendre. Si vous avez prévu de faire partie d'une équipe de basket-ball de quartier et que les entraînements et les matchs ont été annulés, vous pouvez toujours vous entrainer en utilisant la visualisation ; les études ont montré qu'elle pouvait être presque aussi bénéfique que la pratique réelle. Si vous êtes parent et que vous vous inquiétez du stress et de l'anxiété de vos enfants, il est particulièrement important de les aider à se concentrer sur ce qu'ils peuvent faire plutôt que sur ce qu'ils ne peuvent pas faire. Vous savez, il y a quelque chose que tous les enfants peuvent et doivent faire : les tâches ménagères. Les tâches ménagères sont utiles en période de stress, car elles vous permettent, à vous et à vos enfants, d'agir et, ce faisant, de contrer vos sentiments d'impuissance et de désarroi. Faites vos tâches ensemble chaque fois que c'est possible - par exemple, préparer le repas, laver le chien, commencer un potager ou un jardin de fleurs - car cela peut renforcer les liens à un moment où il est si important de se sentir proche et connecté.
4. Aidez-vous en aidant les autres

Chaque fois que vous vous sentez paralysé par des sentiments difficiles, une façon de vous en sortir est d'aider d'autres personnes dans le besoin. En fait, la gentillesse, l'altruisme et le fait de faire pour les autres améliorent considérablement notre propre bien-être par rapport au fait de faire pour soi-même. Allez voir un voisin qui vit seul, envoyez un SMS à un ami qui travaille dans une entreprise durement touchée par la pandémie, ou appelez un membre âgé de votre famille pour lui dire bonjour. Si certains de vos amis ou membres de votre famille sont aux prises avec des sentiments d'anxiété, communiquez ce que vous avez appris sur la gestion de vos propres angoisses. La gentillesse et l'aide aux autres sont d'excellents moyens de renforcer vos propres sentiments de pouvoir et de contrôle, et elles ont l'avantage de vous donner le sentiment d'être autonome et connecté - des sentiments importants que nous pourrions tous utiliser davantage en ces temps de stress et d'isolement social potentiel.
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5. Limitez votre consommation d'informations
La situation change et évolue d'heure en heure, ce qui maintient beaucoup d'entre nous collés aux chaines d'info ou accros aux médias sociaux. Cependant, lorsque les nouvelles sont particulièrement stressantes, il est extrêmement important de trouver un équilibre entre le fait de rester informé et de ne pas se laisser submerger. Choisissez des moments précis de la journée où vous consulterez les informations, et ne le faites qu'à ce moment-là. Entre-temps, essayez de vous concentrer autant que possible sur les activités quotidiennes, surtout si vous êtes enfermé à la maison ou si vous avez des enfants. Il faut donner à son esprit et à son corps autant d'occasions que possible de se détendre et de récupérer, ce qui signifie qu'il faut faire des pauses dans toutes les activités génératrices de stress, comme la consommation d'informations ou les conversations sur l’actualité.
6. Relativisez
En ce moment, c'est peut être difficile pour chacun d'entre nous - y compris pour les psychologues ! - de voir la lumière au bout du tunnel. Mais cette situation d'urgence finira par se résoudre. Nous ne savons pas si ce sera en quelques semaines ou en quelques mois, mais les humains sont des créatures très adaptables et la vie redeviendra bientôt normale (même dans une "nouvelle" normalité).
Monde, nous sommes certainement mis au défi en ce moment. Mais nous sommes loin d'être impuissants. Nous pouvons prendre le contrôle, nous pouvons prendre des mesures pour gérer activement notre santé émotionnelle lorsque nous sommes stressés ou en détresse ; et nous pouvons communiquer avec nos proches et maintenir le contact avec eux. Une fois que nous l'aurons fait, nous sortirons de cette crise en ayant acquis quelque chose d'une grande valeur, quelque chose que seuls les vrais défis peuvent nous apporter : une résilience, une écoute et une empathie accrues.
Guy